lundi 1 juin 2015

Accueil et écrans


La confusion entre accueil et service est fréquente. Augmenter la plage d’ouverture d’un musée ou permettre le check-in en ligne améliore le service, mais pas l’accueil. L’accueil, élément de l’atmosphère du service, ne peut se déployer que lors d’une rencontre personnalisée, donc lorsqu’un touriste est en contact direct avec un prestataire. Cela étant, un bon service numérique vaut mieux qu’un mauvais accueil, tandis que les écrans numériques contribuent souvent à améliorer l’accueil.

Entre faire la queue pendant dix minutes avant de rencontrer une caissière pour acheter un ticket d’entrée au musée du Louvre et utiliser immédiatement une borne qui vous fournira exactement le même service, que préférez-vous ?

Les écrans accompagnent de plus en plus les déplacements touristiques, qu’il s’agisse de bornes tactiles et de tablettes mises à la disposition des touristes, d’applications à télécharger sur leur téléphone… Certains restaurants tendent à leurs clients une tablette en guise de carte des mets et des vins, ce qui leur permet de commander directement. Le groupe hôtelier Hilton propose à ses clients fidèles ayant installé l’application Hilton HHonnors de choisir leur chambre avant leur arrivée ; pendant leur séjour, cette application leur permet aussi d’ouvrir la porte de leur chambre, de commander un oreiller supplémentaire ou de savoir si leur chambre a été nettoyée. L’office de tourisme de Maribor (Slovénie) n’a plus de local ouvert au public : grâce à des bornes wi-fi, le touriste mobinaute peut se connecter gratuitement pour découvrir les ressources touristiques et télécharger les informations dont il a besoin pour découvrir la ville. Les compagnies aériennes nous ont habitués à faire le travail des personnels au sol : nous sommes instamment priés de nous enregistrer tout seuls, que se soit sur notre ordinateur ou notre mobile avant d’arriver à l’aéroport, ou sur une borne dans le hall d’embarquement. Demain, des robots humanoïdes comme Nao, Furo et Pepper dialogueront avec les touristes.

Ces écrans améliorent-ils l’accueil ? Ils proposent bien sûr un service, parfois plus efficace que s’il était fourni par un employé. Mais peut-on dire qu’une application pour mobile ou un robot sont accueillants ? Afin de répondre cette question, il faut d’abord distinguer accueil et service.

La confusion entre accueil et service est fréquente. Augmenter la plage d’ouverture d’un musée ou traduire en plusieurs langues un site web améliore le service, mais pas l’accueil. Car l’accueil, élément de l’atmosphère du service, se déploie lors d’une rencontre personnalisée, donc lorsqu’un touriste est en contact avec un prestataire en face à face ou au téléphone, voire en visiophonie. Pour autant, toute situation de communication interpersonnelle n’est pas accueil. Un guide-conférencier brillant n’est pas accueillant car il s’adresse à un groupe : la communication est unilatérale, même si certains visiteurs posent des questions.

Le touriste vit de nombreuses rencontres de service non personnalisé, sans personnel en contact : lorsqu’il réserve en ligne une entrée dans une exposition ou qu’il accède seul à sa chambre d’hôtel ou qu’il se sert à un buffet. Il a parfois le choix entre un service personnalisé ou pas. Il peut préférer produire lui-même le service, que ce soit pour gagner du temps ou par timidité. Car toutes les rencontres de service personnalisé ne sont pas source de valeur ajoutée humaine. Il y a un fossé entre la relation ponctuelle, avec un employé de péage d’autoroute par exemple, et la relation pérenne, avec le serveur affecté à votre table durant une semaine de croisière.

Le support physique contribue également à l’atmosphère du service. Il peut améliorer la perception de l’accueil. La suppression d’un hygiaphone facilite la communication. Des écrans aident le personnel en contact à être plus proche du client. Par exemple, l’utilisation d’une tablette par le réceptionniste lors du check-in dans les hôtels Mercure supprime la barrière que constituait le comptoir de réception.

Rappelons-nous que depuis l’arrivée des ordinateurs dans les services dits « d’accueil », les employés ne regardent plus leur interlocuteur et ont les yeux rivés sur un moniteur, celui constituant une excroissance au-dessus de la banque de réception, et donc, parfois, une barrière encore plus haute. Les Google glass – ou, plutôt, ce qui les remplacera – permettront peut-être de supprimer une barrière, mais le client risque d’être confronté à des accueillants au regard fuyant et passant leur temps à dire : « OK Glass ».

Les écrans diffusant des images permettent de faire patienter le client dans l’attente d’une rencontre de service personnalisée. Ils améliorent la perception de l’accueil, car la recherche a montré que la durée de l’attente a un impact négatif sur la qualité de l’accueil. Ils peuvent aussi être utilisés pour améliorer le service et remplacer les personnels en contact. Certains services sont tellement banals (péage autoroutier), qu’il vaut mieux proposer un service non personnalisé. D’autant que, depuis longtemps, le client a accepté le principe de sa participation active au service.
Les écrans présentent de nombreux avantages pour le touriste. Quand tout fonctionne bien, ils sont polyglottes, disponibles à toute heure, et permettent ce qu’aucun être humain ne pourra jamais offrir comme, par exemple, la réalité augmentée. Comment se passer d’un écran pour visualiser ce qu’était l’abbaye de Jumièges avant sa destruction ?

Les organisations touristiques avancent parfois comme prétexte à la numérisation du service la nécessité de répondre aux besoins de la génération dite Y, qui a de fortes attentes en matière de services numériques. Mais dépersonnaliser une rencontre de service, c’est d’abord supprimer des employés qu’il faudrait recruter, former, payer, motiver, gérer, remplacer voire licencier ! Les gains de productivité sont faibles avec les personnels d’accueil, même si un écran vient les aider. La solution technologique pour améliorer la productivité est tentante, surtout dans les pays où le coût de la main-d’œuvre est élevé.

Parfois, les accueillants sont là pour aider le client à utiliser les écrans, comme ces hôtesses et hôtes qui, dans les aéroports, aident les maladroits à utiliser une borne d’enregistrement. Leur employeur espère que, la prochaine fois, vous saurez le faire tout seul : les personnels en contact deviennent formateur de clients. Le développement des écrans modifie fondamentalement leur rôle. Ils n’auront bientôt plus à donner la clé de chambre, à prendre la commande au restaurant ou à renseigner le touriste.

Cependant, la rencontre de service personnalisé est parfois irremplaçable. Il faudra toujours des agents de sécurité, dans les aéroports, pour fouiller les personnes et leur demander d’enlever tel ou tel accessoire. À moins que l’on invente des robots fouilleurs. Des robots de services, mais certainement pas d’accueil.

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La multiplication des écrans condamne-t-elle le touriste à la même solitude que le client dans les allées du supermarché ou les stations-service ? Pourra-t-il encore bavarder avec une hôtesse ou un serveur ? Assistera-t-on à des réactions anti-écran, comme il y a des résistances à l’agression publicitaire ? Ou verra-t-on des employés briser les écrans afin de sauver leur emploi, comme en 1819, à Vienne, quand les ouvriers de la soie se révoltèrent et détruisirent les métiers à tisser Jacquard appelés à les remplacer ? Le « vivre avec les écrans » primera-t-il un jour sur le « vivre ensemble » ?

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